Fédération Nationale des Retraités de la Gendarmerie-Section de Gaillac

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Guyanne: Stage forêt, épisode 3.............

Stage forêt : entretien avec le capitaine Bastien de l’AGIGN de Cayenne

Capitaine Bastien, directeur du stage forêt

Affecté à l’Antenne du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (AGIGN) de Cayenne en 2021, et adjoint au commandant d’unité depuis l’été dernier, le capitaine Bastien était le directeur du stage forêt qui se déroulait du 1er au 4 février 2024.

Mon capitaine, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

J’ai intégré l’école spéciale militaire de Saint-Cyr en 2014, après avoir suivi une classe préparatoire au lycée militaire du Prytanée. Au début, j’étais plutôt attiré par l’infanterie et les forces spéciales, car c’était la période où l’Armée française était engagée en Afghanistan. Au moment des premiers désengagements et de la création de l’opération Sentinelle, j’ai découvert la gendarmerie, notamment au travers d’échanges avec des camarades. J’ai alors fait le choix de rejoindre l’École des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN). Je me suis posé la question des spécialités. Je suis passionné de moto et les tests d’entrée à l’escadron motocycliste de la Garde républicaine se sont présentés. Je les ai réussis et j’ai pu rejoindre cette unité. Le métier de motocycliste m’a conduit à faire de nombreux déplacements. J’ai vécu une belle expérience au sein d’une unité jeune, marquée par une forte cohésion. Souhaitant poursuivre au sein d’une Antenne du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (AGIGN), j’ai validé les tests de sélection et j’ai été affecté à celle de Cayenne en 2021.

Comment s’organise le stage forêt ? En quoi est-il indispensable aux gendarmes s’apprêtant à effectuer des missions en forêt ?

La forêt est un milieu particulier et complexe qui génère certaines appréhensions chez les gendarmes projetés en Guyane. Le stage forêt est encadré par les militaires de l’AGIGN. Il est absolument nécessaire pour avoir les clés de compréhension du milieu et des missions effectuées en forêt. Au cours de ce stage d’une durée de trois jours, nous abordons également la complémentarité avec les Forces armées en Guyane (FAG), avec lesquelles nous menons souvent nos missions.
L’année dernière nous avons créé le manuel de formateur en forêt équatoriale, qui synthétise tous les savoir-faire de l’AGIGN propres à ce milieu. Nous nous appuyons sur ce manuel pour conduire nos instructions.

Les militaires nouvellement affectés à l’antenne participent-ils également à un stage forêt ?

La validation de la qualification de formateur en forêt équatoriale donne lieu à l’obtention d’un code-savoir et d’un brevet. Un stage forêt propre à l’AGIGN, d’une durée de quatre jours, est d’abord dispensé aux militaires nouvellement affectés à l’unité. Pour valider le brevet de formateur forêt, il leur faut encore effectuer deux stages forêt en tant qu’aide-moniteur, un stage d’initiation à la conduite d’un quad, un stage d’initiation pirogue, le stage tronçonneuse, deux missions héliportées de type Anaconda, une mission avec destruction d’un site d’orpaillage et deux missions interarmées, héliportée et nautique, avec moyens spécifiques. Le formateur forêt doit enfin cumuler un an d’expérience et avoir suivi une formation en pédagogie.

Où se déroule le stage forêt ?

Le stage forêt se déroule au carbet Blanka sur la rivière Kounana (un carbet est un abri en bois sans mur, typique de la Guyane, NDLR). Ce carbet est celui de la gendarmerie de Guyane. Nous l’avons rebaptisé l’année dernière en hommage à Arnaud. Les carbets sont concédés par l’Office national des forêts (ONF). La coutume en Guyane veut que les carbets soient en libre accès. La seule restriction est que si le propriétaire arrive et demande à occuper son carbet, alors les personnes qui l’utilisent doivent s’en aller. Le carbet de la gendarmerie ne déroge pas à la règle. Outre le stage forêt destiné aux gendarmes mobiles et militaires de l’AGIGN, nous y accueillons également les familles, les gendarmes adjoints volontaires et les cadets de la gendarmerie à l’occasion d’évènements de cohésion.

Pourquoi avoir fait le choix de l’AGIGN de Cayenne ?

J’avais classé les 14 antennes en mettant l’AGIGN de Cayenne en quatrième choix. Ayant effectué ma scolarité à Saint-Cyr, j’avais déjà suivi un stage du Centre d'entraînement en forêt équatoriale (CEFE) et je savais que la forêt me plairait (au cours de leur formation, les élèves de Saint-Cyr effectuent un stage d’aguerrissement de quinze jours au CEFE situé à Régina, en Guyane française, NDLR). Mais l’inconnu, c’était la vie en Guyane. Au final, c’est une bonne expérience personnelle. Et c’est hors norme professionnellement parlant. Nous sommes reconnus par le GIGN dans notre spécificité forêt. Régulièrement, une de leurs sections vient se confronter à ce milieu, ce qui nous permet d’échanger nos savoir-faire.
Je suis adjoint au commandant d’unité depuis cet été. C’est un commandement exaltant qui fait grandir.

Pouvez-vous nous parler de vos engagements les plus marquants en Guyane ?

J’ai trois engagements qui me viennent à l’esprit.
D’abord, ma première mission forêt, alors que je venais d’être affecté à l’unité. Nous sommes partis en mission autonome avec dix militaires de l’AGIGN. J’étais Directeur des opérations (D.O.), mais j’étais appuyé par un adjoint expérimenté. Nous avons effectué une belle et difficile mission.  Nous avons obtenu un beau bilan en saisissant une pirogue, deux quads et du matériel d’orpaillage en grande quantité. Cette opération restera gravée dans ma mémoire.
La deuxième mission qui m’a marqué a eu lieu en octobre 2021. Nous devions monter une embuscade sur des quads à proximité du Dégrad Yaya. Nous avons d’abord effectué une dépose hélico en rappel à 10 kilomètres à vol d’oiseau de l’objectif, puis une belle marche de 25 kilomètres. Nous nous sommes positionnés pour surveiller la livraison puis nous avons attendu pendant deux jours. Alors que nous étions sceptiques sur la réussite de la mission, en l’absence de mouvement constaté sur la zone, nous avons enfin vu les quads se diriger vers le site d’orpaillage afin de récupérer la marchandise. Nous nous sommes rapidement positionnés en embuscade en bordure de piste pour les intercepter dans le sens retour. Nous avons alors saisi et interpellé successivement neuf quads et leurs pilotes. C’était exaltant. Les garimpeiros (chercheurs d'or clandestins, NDLR) étaient sidérés et surpris par le dispositif.
Le troisième engagement auquel je pense est une interpellation domiciliaire sur le littoral, en août dernier. L’individu n’était pas connu pour être particulièrement dangereux. De mémoire, l’infraction reprochée était un vol de pirogue, mais la maison était très bien barricadée, et c’est le critère de technicité qui a justifié notre engagement. Nous avons pénétré sur sa propriété et nous nous sommes fait tirer dessus depuis une fenêtre. Nous lui avons alors fait les injonctions et il s’est rendu. Il n’y a pas eu de blessé, mais ça restera une opération marquante.

Conseillerez-vous à un militaire ayant réussi les tests de sélection de rejoindre l’AGIGN de Cayenne ?

Rejoindre cette unité, c’est choisir de vivre une expérience exceptionnelle et d’engranger des connaissances et des compétences qu’on ne trouve nulle part ailleurs. C’est une expérience éprouvante physiquement, psychologiquement et familialement mais celui qui veut se tester et relever des défis sera servi. Pouvoir cumuler cette double casquette forêt et intervention spécialisée, c’est quelque chose d’exceptionnel et de reconnu. Les missions forêt exigent beaucoup d’autonomie et de capacité d’initiative.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience personnelle de la Guyane ?

De nombreuses personnes ont des préjugés sur la Guyane. Je comprends qu’on puisse ressentir une forme d’appréhension avant d’être affecté dans ce département d’outre-mer, mais c’est une expérience enrichissante à vivre. Celui ou celle qui aime la nature s’épanouira en Guyane. Il y a de nombreuses activités à faire en lien avec celle-ci. Il est par exemple possible de dormir en carbet ou de faire des randonnées. Concernant la vie professionnelle du conjoint, ma femme a trouvé du travail sans problème. Familialement, je garderai un lien fort avec la Guyane. En effet, notre fils y est né et voudra probablement y revenir plus tard.

Pouvez-vous nous parler de votre avenir ?

Après avoir passé trois années intenses en Guyane, je serai affecté comme commandant de l’AGIGN de Dijon cet été. L’enjeu sera double puisque je devrai prendre la mesure des responsabilités d’un commandant d’unité et m’approprier le fonctionnement et les contraintes d’une AGIGN métropolitaine. Je suis reconnaissant de la confiance que ma hiérarchie place en moi.

 

 

 

Stage forêt, épisode 3 : lutter en sécurité contre l’orpaillage illégal

 

Stagiaires s'exerçant au combat en forêt.
 
© GEND/GR/ADC.BOURDEAU

Suite et fin de notre reportage en Guyane sur le stage forêt, dont la finalité est de permettre aux gendarmes nouvellement affectés dans le cadre de l’opération Harpie de lutter efficacement, et en sécurité, contre l’orpaillage illégal, et ainsi d’œuvrer à la protection de l’intégrité du territoire national et à la préservation de la forêt équatoriale.

Il est 7 heures du matin devant le carbet de la gendarmerie de Guyane, rebaptisé carbet Blanka, en hommage au major Arnaud Blanc. Les stagiaires sont réunis pour la levée des couleurs. Au plus profond de la forêt équatoriale, cette cérémonie symbolise tout le sens de l’engagement que vivront les gendarmes ces prochains mois. Au milieu de la canopée, le bruit du drapeau tricolore qui flotte en tête de mât fait écho aux paroles prononcées par le général Jean-Christophe Sintive, commandant la gendarmerie en Guyane, lors de son allocution d’accueil : « Cette mission a un sens profond, protéger la forêt équatoriale. Vous vous en souviendrez toute votre vie. Vous serez positionnés à l’ouest de la Guyane. Il s’agit de la zone la plus orpaillée, là où la pression est la plus forte. »

Cérémonie des couleurs en forêt.
 
© GEND/GR/ADC.BOURDEAU

« Un maximum de résultat avec une prise de risque limitée »

Avec l’opération Harpie, la France protège ses richesses et son territoire, même dans les endroits les plus reculés du monde. Le stage forêt permet aux gendarmes d’acquérir les savoir-faire nécessaires à la mission, en leur permettant de lutter efficacement, et en sécurité, contre l’orpaillage illégal.

Le capitaine Bastien, adjoint au commandant de l’Antenne du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (AGIGN) de Cayenne, et directeur du stage, sensibilise les stagiaires à la notion d’acceptation du risque. « Vous aurez à effectuer des missions conventionnelles. Les missions de deuxième niveau qui se caractérisent par une dangerosité, une sensibilité ou une technicité plus élevées sont réservées aux unités spécialisées. Contrairement à la tuerie de masse, qui justifie que vous acceptiez un niveau de risque maximal pouvant aller jusqu’au sacrifice de votre vie, les missions de lutte contre l’orpaillage illégal impliquent une acceptation du risque plus faible. Votre objectif est d’avoir un maximum de résultat avec une prise de risque limitée ». La majeure partie du temps, les garimpeiros se montrent collaboratifs. Néanmoins, la prise à partie ne pouvant être totalement exclue, à l’image de celle ayant coûté la vie au major Arnaud Blanc, une simulation est consacrée à cette éventualité. En forêt, les gendarmes apprennent ainsi à localiser la menace, à la neutraliser et à s’en soustraire de manière coordonnée le cas échéant.

Militaires de l'EGM 13/5 s'entrainant au combat en forêt.

Destruction du matériel et contrôle des pirogues logistiques

Un module tactique permet également d’apprendre à aborder un chantier et à s’en emparer efficacement en prenant possession des vecteurs (quads et pirogues) pour interdire toute retraite aux garimpeiros.

« Papi », de son véritable prénom Romain, de l’AGIGN, s’attelle à initier les stagiaires à la destruction des matériels nécessaires à l’orpaillage, qu’ils auront à réaliser après s’être emparés du chantier. « On veut leur faire assimiler les points clés. Avant de mettre le feu, ils devront recourir à l’utilisation des équipements de protection, que sont les gants et les lunettes, et systématiquement tester le contenu des bidons présents sur les lieux afin de séparer l’essence du gasoil. L’essence est particulièrement dangereuse, elle est volatile et peut exploser facilement. Un responsable destruction doit être identifié. Il y a des choses qu’on ne détruit pas comme les bonbonnes de gaz. La destruction a lieu en fin de mission, les accidents peuvent survenir à ce moment là avec la fatigue et l’euphorie. »

Militaire arrosant les éléments à détruire d'huile pour faciliter la mise à feu.

Dans le cadre de l’enseignement au maniement des pirogues, l’AGIGN apprend également aux gendarmes à contrôler une pirogue logistique (pirogue utilisée par les garimpeiros pour transporter le matériel nécessaire à l’orpaillage, NDLR) en sécurité. « On ne s’en rend pas compte mais la pirogue, c’est comme une moto, on va très vite sur l’eau et il n’y a pas de carrosserie, décrit Romain. Il y a déjà eu des blessés. S’il y a un refus d’obtempérer lors du contrôle, la mission est de jalonner. Ne vous mettez jamais en face d’une pirogue adverse ». Équipés de gilets de sauvetage balistiques, les stagiaires effectuent ainsi des manœuvres sur l’eau en remplissant à tour de rôle les fonctions de piroguier, d’éléments de contrôle ou de takariste.

Militaires s'entrainant au maniement des pirogues.

Une synthèse éprouvante mais indispensable

Le dernier jour du stage est consacré à un exercice de synthèse, « qui permet de mettre en application tous les modules, souligne le capitaine Bastien à la veille de celui-ci. Les stagiaires seront déposés à quelques kilomètres de leur objectif, qu’ils devront atteindre en marchant après avoir franchi une coupure humide. Ils auront à mettre en place une embuscade et à s’emparer d’un site d’orpaillage. Des incidents surviendront au cours de l’exercice, comme la prise en compte d’un blessé et la mise en place d’une évacuation sanitaire. Lors de la synthèse, ils auront déjà deux nuits en forêt dans les pattes et donc un peu de fatigue. Le stage se veut progressif et pédagogique afin de leur permettre d’assimiler correctement les connaissances, tout en les confrontant à la réalité de la forêt. »

Stagiaires réalisant l'exercice synthèse.

A l’issue de cette synthèse, la maréchale des logis-cheffe Julia, affectée en mission de courte durée en Guyane, nous livre ses impressions sur le stage. « Il est absolument nécessaire. Je me sens mieux préparée. Je ne connaissais absolument rien à la forêt. La synthèse était particulièrement éprouvante. Nos corps ne sont pas encore bien acclimatés, et entre la transpiration, la matériel et le sac, on est vite en difficulté. J’appréhendais aussi de me mettre à l’eau, car on ne voit rien, mais ça l’a fait ! Dormir en forêt, ce n’est pas évident. Au cours du stage, j’ai dormi une nuit sur trois. Le plus pénible c’est de monter le bivouac, c’est un vrai coup de main à prendre. »

Mieux préparés, les gendarmes sont désormais prêts à remplir leur mission de lutte contre l’orpaillage illégal, au profit de la population guyanaise, et pour la préservation de cette richesse inestimable que constitue la forêt amazonienne.

Photo montrant l'ntégralité des stagiaires et des cadres.
 

 



28/03/2024
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