Accueil des victimes de violences intra-familiales : du rôle clé de l’intervenant social en gendarmerie
Depuis plusieurs années, des intervenants sociaux complètent l’action des gendarmes en prenant en charge l’accompagnement social des victimes, notamment dans le cadre de situations de violences intrafamiliales. Laurent est l’un d’entre eux. Une équipe de GENDinfo l’a rencontré dans son environnement professionnel, en Ille-et-Vilaine.
À l’accueil de la brigade de gendarmerie de Guichen, en Ille-et-Vilaine, Nathalie, 55 ans, est accueillie par un interlocuteur un peu particulier, Laurent, Intervenant social en gendarmerie (ISG). Cette prise en charge fait suite à une plainte déposée par Nathalie quelques jours plus tôt pour des Violences intra-familiales (VIF) à son encontre. L’enquêteur l’ayant auditionnée l’a en effet orientée vers Laurent, en complément de la procédure pénale initiée.
Laurent travaille comme ISG depuis deux ans. Il est compétent sur le ressort de la compagnie de gendarmerie départementale de Redon. L’action des ISG est prévue par une note express de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) du 20 septembre 2018. Celle-ci prévoit qu’ils « appuient et complètent l’action de la gendarmerie en prenant en compte le volet social des sollicitations. L’action des ISG permet ainsi aux gendarmes de se concentrer sur leur cœur de métier. Véritables urgentistes de l’action sociale, les ISG interviennent au profit de la population hors champ pénal. »
Les premières expérimentations remontent à 1986. Les Intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG) sont d’abord un échec, mais leur mise en place est reconduite en 1990 à Limoges. Ces acteurs s’implantent progressivement sur le territoire, mais leur développement s’accélère surtout ces dernières années, en raison de la meilleure prise en compte par les pouvoirs publics des Violences intra-familiales (VIF). Depuis 1999, le 25 novembre est proclamé journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. En 2006, les premiers ISCG rattachés à l’Association pour l’action sociale et la formation à l’autonomie et au devenir (ASFAD) sont implantés en Ille-et-Vilaine, d’abord en zone police, puis en zone gendarmerie. En 2018, un ISG est créé à Redon, et sa zone de compétence est étendue aux gendarmeries de Bain-de-Bretagne et de Guichen en 2020. Ce poste est financé de manière tripartite par l’État, le département et les deux communautés de communes du territoire. Aujourd’hui, la France compte 450 ISCG, dont huit en Ille-et-Vilaine. Six d’entre eux sont rattachés à l’ASFAD.
Intervenir pour toute situation de vulnérabilité, notamment dans le cadre de violences intrafamiliales
L’intervenant social gendarmerie intervient dans toute situation de vulnérabilité. « 80 % de mon activité est néanmoins liée aux violences intra-familiales, explique Laurent. Je reçois toute demande d’ordre social pour laquelle la gendarmerie n’est pas compétente. La seule plainte ne permet pas de répondre à tout. Les violences intra-familiales demandent du temps et un accompagnement dans de nombreux domaines (organisation du quotidien et de la garde des enfants, relogement, séparation, etc.). J’effectue une évaluation de la situation, j’apporte des conseils et je me positionne comme un véritable aiguilleur, en orientant la personne vers le ou les bons interlocuteurs. Je m’appuie pour cela sur les deux réseaux VIF agissant sur la circonscription de la compagnie de Redon et au sein desquels les partenaires sont clairement identifiés. Un répertoire a ainsi été constitué. Je mets les personnes en lien avec les Centres départementaux et les Centres communaux d’action sociale (CDAS et CCAS), les centre médico-psychologiques, des médiateurs ou encore les missions locales. Finalement, le rôle de l’ISG est d’orienter vers le ou les bons professionnels. »
L’ISG est destinataire de trois types de saisines. Les gendarmes peuvent eux-mêmes lui adresser une personne en précisant les motifs de la saisine. Le document indique également dans quel état d’esprit celle-ci se trouvait et si elle semblait favorable à l’intervention de l’ISG. « En général, j’échange avec l’enquêteur de vive-voix, puis je contacte la personne afin de lui présenter ma démarche », précise Laurent. Les partenaires extérieurs peuvent également solliciter l’ISG. « Il s’agit souvent de situations où les personnes n’ont pas fait de démarche de plainte, mais y réfléchissent. Enfin, certaines personnes confrontées à une situation de vulnérabilité s’adressent directement à moi. Elles ont obtenu mes coordonnées auprès d’une administration ou ont pu entendre parler de mon rôle. »
« Être animé par l’action que je porte »
À 55 ans, Laurent dispose d’une solide expérience. Titulaire d’un diplôme d’éducateur spécialisé obtenu en 1995, il fait ses armes à Paris avec SOS Drogue International, devenue le Groupe SOS. Pendant sept ans, il fait ainsi partie d’une équipe pluridisciplinaire chargée d’accompagner des personnes toxicomanes. Il s’oriente ensuite vers la protection de l’enfance, avant de décider de reprendre ses études afin de pouvoir prétendre à des responsabilités plus importantes. « J’ai suivi un cursus de deux ans au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) de 2010 à 2012 afin d’obtenir un master 2 en management. À l’issue, j’ai travaillé dans un service pour jeunes majeurs. »
Arrivé en Bretagne il y a deux ans, il obtient un poste d’ISG auprès de l’ASFAD. « Ce poste, je l’ai choisi. Le sujet des VIF m’intéressait tout particulièrement, mais je n’avais jamais eu l’occasion de m’y investir. On en parlait beaucoup. Il s’agit d’un phénomène de société où je trouvais qu’il y avait des choses à faire et des modes de pensée à restructurer. J’avais envie de participer à l’évolution du rapport de la société à la femme, à cette prise de conscience et au changement des mentalités dans le cadre de mouvements comme #MeToo. J’ai besoin d’être animé par l’action que je porte. Je n’aurais pas pu faire ce travail plus jeune. Je m’appuie sur l’expérience que j’ai acquise en matière d’addictions et de protection de l’enfance. C’est un travail qui demande une certaine maturité et une capacité d’autonomie. J’apprécie vraiment d’accompagner les victimes dans leur cheminement intellectuel et de les aider à franchir les étapes. »
Un travail en étroite collaboration avec les gendarmes
À son arrivée en 2022, Laurent succède à Émilie au poste d’ISG de la compagnie de gendarmerie de Redon. « Le rôle de l’ISG était déjà perçu comme utile. Ma prédécesseure s’était engagée dans une véritable collaboration, ce qui a facilité mon intégration. Les gendarmes étaient déjà convaincus de ma plus-value, car ils avaient conscience que j’étais en mesure de prendre en compte des situations qui pouvaient saturer leur travail. Je pense qu’il faut combattre le discours que l’on entend parfois selon lequel la gendarmerie et la police auraient une action diamétralement opposée à celle des intervenants sociaux alors que celle-ci est en fait complémentaire. Je m’attache à faire équipe avec les gendarmes, même si nous n’avons pas le même travail. J’essaie de leur faire des retours sur chaque situation confiée. En retour, ils m’informent des conséquences judiciaires. Le contact est fluide, nous avons instauré de véritables temps d’échange. »
Ce que le gendarme Guillaume, affecté à la brigade de Guichen depuis 2020, confirme : « Laurent nous allège dans notre travail. Il joue un rôle clé dans l’accompagnement des victimes en faisant le lien avec les structures sociales. La saisine de l’ISG est devenue un réflexe. Il constitue un outil humain indispensable. Les familles nous rappellent parfois pour nous remercier pour l’accompagnement qu’elles ont reçu. »
La priorité donnée aux VIF a également conduit à mieux former les gendarmes ces dernières années. Une formation obligatoire leur est ainsi désormais dispensée. Dans ce cadre-là, une saisine type de l’ISG a été instaurée. Intégrée dans le Logiciel de rédaction des procédures de la gendarmerie nationale (LRPGN), elle permet de faciliter le recours à cet intervenant, en permettant à l’enquêteur de ne rien omettre. La prise de numéro garantit par ailleurs un suivi de la sollicitation.
Laurent transmet un tableau statistique mensuel récapitulant son action. Celui-ci précise les différentes saisines dont il a fait l’objet et les actions qu’il a conduites pour y répondre. Laurent est destinataire d’environ 290 saisines chaque année.
Un quotidien adapté aux sollicitations et aux besoins en formation
En raison de l’activité plus forte, Laurent assure une permanence deux jours par semaine à la brigade de Redon. Les mardis et vendredis sont consacrés aux brigades de Guichen et de Bain-de-Bretagne. Le mercredi n’est pas sanctuarisé, il se déplace dans l’une ou l’autre des unités en fonction des sollicitations.
« Mon quotidien est constitué d’entretiens téléphoniques et de rendez-vous, détaille Laurent. À mon arrivée dans les locaux, je vais au contact des gendarmes afin d’échanger sur les dernières affaires qu’ils ont pu traiter et je prends en compte les nouvelles saisines. Je propose des rencontres en gendarmerie la plupart du temps, mais il m’arrive également d’effectuer des visites à domicile lorsqu’il s’agit de personnes âgées ou de personnes ne disposant pas de moyen de locomotion par exemple. »
Les ISG du département se réunissent en visioconférence chaque mardi. Ces points d’étape sont complétés par des réunions d’équipe mensuelles. « Ces rencontres nous permettent d’homogénéiser nos pratiques et de disposer d’un temps pour exprimer nos ressentis vis-à-vis de situations. Elles nous permettent de nous constituer une forme d’identité professionnelle. »
Enfin, les ISG bénéficient de formations continues. « J’essaie de me former dans les domaines dans lesquels je suis sollicité, notamment lorsqu’il s’agit de matières que je maîtrise moins. L’année dernière, j’ai par exemple participé à un colloque sur les VIF organisé à Saint-Malo. Les intervenants venaient de France mais également de pays étrangers. Ces formations alimentent mon champ de compétences. »
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