OCLCH : dix ans de lutte contre les crimes internationaux les plus graves et les crimes de haine
Créé en novembre 2013, l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre comptait à ses débuts seulement douze enquêteurs issus de la section de recherches de Paris, chargés de traiter des dizaines de dossiers internationaux très complexes (Syrie, Irak, Liberia, Rwanda…). En 2020, son champ missionnel s’élargit, et dans le même temps son effectif augmente d’une dizaine de personnels, avec la création d’une division dédiée aux crimes de haine. Aujourd’hui, ce sont quarante enquêteurs qui se consacrent quotidiennement à ces deux contentieux, avec, au cours des dix années écoulées, des résultats notables, à l’instar de l’arrestation, en mai 2020, du financier du génocide rwandais. Le général Jean-Philippe Reiland, commandant de l’OCLCH, revient sur la genèse de cet office et les étapes marquantes de cette décennie, ainsi que sur la spécificité des contentieux traités par ses enquêteurs.
L’OCLCH fête ses dix ans cette année. Il s’agit du plus jeune des offices centraux gendarmerie. Pouvez-vous brièvement rappeler le contexte dans lequel il a vu le jour en novembre 2013 ?
Tout débute en 1998, date à laquelle la France signe le Statut de Rome, lequel institue la Cour pénale internationale (CPI). De là, des travaux constitutionnels vont être nécessaires afin de faire entrer dans le droit positif les éléments de la convention, puisque la ratification de ce traité revient à se départir possiblement d’une partie des prérogatives judiciaires françaises au bénéfice de la CPI, laquelle pourrait, pour les crimes internationaux les plus graves, juger des ressortissants français. La modification de la Constitution française est votée à l’unanimité en 2000. Un fait rarissime qui montre l’importance que la France accorde à la reconnaissance de ces crimes internationaux les plus graves. Le législateur français va cependant aménager le principe de compétence universelle en imposant quatre conditions, dont l’une, la double incrimination (une incrimination identique dans le droit du pays dans lequel les faits ont eu lieu et le droit français, NDLR), a disparu en 2022, à la suite d’un arrêt de la cour de cassation.
Les trois autres demeurent : l’auteur présumé doit avoir sa résidence habituelle en France, sauf en matière d’actes de torture, au sens de la convention de New-York de 1984, où le simple passage en France reste suffisant ; seul le parquet peut décider de l’ouverture d’une enquête. Il ne peut donc pas y avoir d’initiative de la part des officiers de police judiciaire ; enfin, on reconnaît un privilège de juridiction à la CPI, ce qui implique de vérifier qu’il n’y a pas de dossier en cours à la CPI ou dans un autre pays avant d’ouvrir une enquête en France.
Il faudra une dizaine d’années avant que ne soit promulguée la loi intégrant ces évolutions dans le droit français. Celle-ci va notamment créer, en 2011, un pôle spécialisé en matière de crime contre l’humanité au sein du Parquet de Paris, avec son pendant à l’instruction. Restait cependant à créer un outil d’investigation spécialisé. La direction des affaires criminelles et des grâces, le Parquet de Paris et des Organisations non gouvernementales (ONG) se sont alors tournées vers la gendarmerie, car la Section de recherches (S.R.) de Paris avait hérité, quasiment depuis sa création, des dossiers qui « tangentaient » ou concernaient directement ces infractions, avec notamment la recherche de grands fugitifs nazis ou français, comme Touvier, Papon, etc., mais aussi les premières saisines liées au génocide des Tutsis au Rwanda. La S.R. avait d’ailleurs créé une division dédiée aux crimes internationaux pour faire face à ce contentieux.
Il paraissait toutefois plus opportun de créer une unité spécialisée. C’est chose faite en novembre 2013, quand est signé le décret instituant l’OCLCH, à l’élaboration duquel a travaillé la sous-direction de la police judiciaire de la gendarmerie. L’office est opérationnel dès le début de l’année suivante, armé par douze gendarmes, tous issus de cette division de la S.R. de Paris.
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Depuis cette date, quelles grandes évolutions retenez-vous ?
Dans le décret portant création de l’office, la mention relative aux infractions portant atteinte à un groupe, tel que défini à l’article 211-1 du Code pénal, c’est-à-dire un groupe ethnique, religieux, national, racial, laisse déjà entrevoir la notion de crimes de haine. Ce contentieux ne prend pas immédiatement la dimension qu’il a aujourd’hui. Il faudra attendre les vagues de violation de sépultures dans les cimetières juifs de l’Est de la France, et notamment à Quatzenheim, en 2018-2019, pour voir émerger une volonté de mieux prendre en compte ce phénomène. En lieu et place d’un office spécifique, la gendarmerie porte alors l’idée de renforcer l’OCLCH, en créant une division dédiée à la lutte contre les crimes de haine.
Ce portage peut paraître paradoxal mais il est cohérent. Paradoxal, parce que les crimes de haine font l’objet d’une prescription, parfois très courte, par exemple un an pour les délits de presse. Alors qu’en matière de crimes internationaux, la règle est majoritairement l’imprescriptibilité. Sur le volet répressif, les actes de haine peuvent écoper de pénalités faibles, puisque l’on commence au niveau des contraventions de 5e classe pour les injures publiques. À l’inverse, les crimes internationaux font peser les sanctions les plus lourdes de l’arsenal répressif sur les auteurs. Enfin, le troisième paradoxe apparent tient au fait que les crimes internationaux relèvent de la compétence universelle tandis que les crimes de haine se voient appliquer les règles de compétence classique des juridictions françaises.
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Malgré tout, il y a une cohérence à traiter ces deux contentieux dans le même office central. L’Histoire a montré en effet qu’il n’y a pas de crime international commis sans qu’il n’ait été précédé ou accompagné d’un crime de haine, par exemple de messages injurieux, discriminants à l’endroit d’une population. La pyramide de la haine représente bien cette progressivité dans la violence qui peut aboutir aux infractions les plus graves. C’est pourquoi tous les comportements discriminants, y compris de basse intensité, doivent être pris en compte le plus vite possible.
Cet élargissement de notre champ missionnel a par ailleurs permis d’avoir un office central dont l’action peut également être mesurée à l’aune de la sécurité intérieure. La création de la division dédiée aux crimes de haine, en 2020, s’est accompagnée d’une augmentation des effectifs à hauteur d’une dizaine de personnels. Depuis, l’office a continué de grandir. Il compte aujourd’hui quarante personnels, dont deux policiers, dont la présence est d’autant plus importante que 80 % des crimes de haine se commettent en zone de compétence police. Nous avons par ailleurs recruté des personnels civils, de catégorie A et B, et entamé des discussions avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère des Armées pour obtenir le détachement d’un diplomate et d’un militaire en qualité de conseillers du chef d’office. Nous venons également de créer un Groupe appui renseignement (GAR), rattaché à la division de la stratégie.
Aujourd’hui, quel est précisément le champ de compétence de l’office ?
Nous traitons donc les crimes internationaux les plus graves, c’est-à-dire les génocides, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les disparitions forcées, les actes de tortures, ainsi que les crimes de haine, que l’on peut subdiviser en deux, d’une part les comportements haineux, et d’autre part les discours de haine. Concernant les comportements haineux, le droit français prévoit que tout crime ou délit peut être aggravé dès lors que les faits ont été commis à raison de la race, de la religion, de l’ethnie ou de la nationalité de la victime (article 132-76) ou à raison du genre, du sexe ou de l’identité de genre, ou de l’orientation sexuelle de la victime (132-77).
Les discours de haine sont quant à eux des infractions prévues par la Loi sur la liberté de la presse de 1981, qui a bien évidemment été modifiée au fil du temps, notamment pour tenir compte de l’explosion des réseaux sociaux et donc de la haine en ligne. Il s’agit concrètement des injures publiques, aggravées ou non, de la provocation à la haine raciale, du négationnisme, c’est-à-dire de la négation des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. L’apologie et la provocation au terrorisme entrent aussi dans cette catégorie des crimes de haine, mais ces infractions ont volontairement été sorties du champ de compétence de l’office parce qu’elles conduisent souvent sur des profils qui peuvent davantage intéresser d’autres services.
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Quelles sont les conditions de saisine de l’OCLCH sur ces deux contentieux ?
Sur le volet des crimes internationaux, le Parquet national anti-terroriste (PNAT) n’a pas d’alternative que de nous saisir, à de rares exceptions près, puisque nous sommes le seul office central compétent sur les contentieux que nous avons évoqués. C’est une matière tellement sensible et spécifique, qu’il est pertinent pour les magistrats de disposer d’un interlocuteur unique.
S’agissant des discours de haine, notre principal « donneur d’ordre » est le Pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH), rattaché à la section AC2 presse du parquet de Paris et créé sensiblement en même temps que la division « crimes de haine » de l’OCLCH. Pour les comportements haineux, ce sont en revanche les parquets locaux qui sont compétents et qui peuvent nous saisir en complément de l’unité ou du service local. Sur ce contentieux, nous sommes donc sur une compétence classique, c’est-à-dire une infraction commise sur le territoire national, ou à l’endroit de Français ou par des Français. Pour autant, les liens avec l’étranger sont aussi nombreux. Nous traitons plusieurs dossiers mettant en cause des Français expatriés dans des pays qu’ils considèrent comme des terres d’asile mais dont nous parvenons à obtenir le concours pour les mettre hors d’état de nuire.
Constatez-vous une augmentation du volume de vos saisines ?
Tout à fait, plus particulièrement en matière de crimes de haine, notamment parce que c’est plus simple pour les magistrats d’avoir un office central qui permet de faire de la coordination et de la centralisation. Par exemple, sur un dossier de cyberharcèlement, avec 200 auteurs présumés répartis sur l’ensemble du territoire national, il est plus facile de saisir l’office, qui va mobiliser les unités et services territoriaux concernés, puis coordonner la manœuvre.
Aujourd’hui, nous travaillons sur une cinquantaine de dossiers de crimes de haine et nous avons entre 150 et 160 dossiers portant sur des crimes internationaux. Sur ces derniers, le volume varie peu, car ce sont des dossiers au long cours. Il faut en effet compter quatre ans en moyenne, parfois beaucoup plus, parce qu’il faut aller chercher des éléments partout dans le monde. Côté crimes de haine, nous sommes sur une moyenne de traitement de l’ordre de huit à douze mois par dossier, même si la durée a tendance à s’allonger au regard de l’augmentation du nombre de saisines.
Comment conduit-on une enquête dans les domaines spécifiques des crimes de guerre et des crimes de haine ? Quelles sont les principales difficultés ?
En matière de crimes de haine, on peut dire que nous travaillons de manière classique. Nous collaborons de façon systématique avec les services ou les unités locales, soit d’emblée, sur sollicitation de leur part, soit a posteriori, à l’instar des raids numériques ou cyberharcèlements, pour lesquels nous sommes saisis initialement. Une fois les auteurs présumés identifiés, généralement répartis partout en France, le PNLH va saisir la direction départementale de la police nationale et / ou le groupement de gendarmerie idoine pour procéder aux interpellations et conduire les perquisitions. Et le jour J, nous sommes là pour coordonner l’opération.
Sur les crimes internationaux les plus graves, nous travaillons le plus souvent seuls, même si nous recevons parfois le concours précieux de sections de recherches pour nous aider à conduire un certain nombre d’investigations sur le terrain.
La grande différence avec une enquête criminelle classique, c’est que nous allons le plus souvent partir d’un auteur présumé, sur la base, par exemple, du témoignage d’une ONG, pour remonter sur les faits et identifier les victimes. Nous devons donc adopter une démarche inversée, qui plus est sur des territoires très éloignés, auxquels on ne peut pas toujours accéder. Il n’est en effet pas possible, aujourd’hui, de réaliser des actes d’enquête en Afghanistan ou en Syrie. Il nous faut donc trouver d’autres moyens d’accéder à l’information nécessaire. Nous avons évidemment pour cela les témoignages, qui sont capitaux, mais nous essayons aussi, depuis maintenant plusieurs années, de les doubler d’informations en provenance de sources ouvertes, ce qui nécessite un important travail de recherche et de recoupement. Nous essayons également de développer l’usage des capacités d’imagerie satellitaire, qui permettent de faire un certain nombre de constats sans être présents sur les lieux. Sans oublier bien sûr le renseignement d’origine humaine, que l’on développe aussi, grâce notamment à la création du groupe « appui renseignement » au sein de l’office.
Outre l’aspect géographique, les faits sur lesquels nous travaillons sont également très éloignés dans le temps, entraînant la difficulté supplémentaire des témoignages qui s’estompent, des témoins qui disparaissent de mort naturelle… Sur le dossier de la rafle du Vieux Port, en 1943, à Marseille, il n’y a plus beaucoup de témoins, à part des descendants… Pour donner plus de force à leurs récits, nous devons donc essayer de les recouper avec d’autres témoignages, avec des travaux historiques, avec la presse de l’époque, en somme tout ce que l’on peut trouver qui vienne accréditer leurs propos. C’est parfois un vrai travail d’historien !
Enfin, une autre particularité en matière de crimes internationaux tient à la présence d’organisations de la société civile extrêmement engagées, qui nous sont d’une grande aide. Souvent bien installées dans les pays d’origine, elles reçoivent des témoignages qu’elles font remonter et sont parfois même à l’origine de plaintes déposées en France. Elles facilitent donc l’action de la justice française en communiquant des informations essentielles. Si nous prenons toujours avec beaucoup d’intérêt ces informations, nous le faisons aussi avec la distance et le doute nécessaires à l’impartialité primordiale de notre travail, car ces organisations non gouvernementales, le plus souvent parties civiles aux procès, ont un parti pris, logique et respectable, mais dont nous devons nous préserver. Pour autant, sans ces ONG, ces organisations de la société civile, la justice pénale internationale ne pourrait pas avancer comme elle le fait. Ce sont vraiment des partenaires indispensables.
Nous avons aussi quelques enquêtes qui peuvent concerner les deux contentieux. Typiquement des extrémistes d’ultra-droite qui commettent, en France ou depuis l’étranger, un certain nombre d’infractions de haine… Que l’on peut retrouver sous les armes, dans des régions troublées, dans un camp ou l’autre. Là, les actes se joignent à l’idéologie.
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Au regard des contentieux traités, on peut aisément affirmer que vous attachez une attention particulière aux auditions de victimes ?
L’approche de ces victimes ou de ces témoins est en effet extrêmement importante, parce qu’il y a de profonds traumatismes en eux, qui bien souvent ressurgissent au cours des auditions. On peut par exemple avoir à recueillir des témoignages d’anciens enfants soldats ou de victimes de violences sexuelles. La sensibilisation des enquêteurs à ces questions est donc primordiale. La plupart ont d’ailleurs suivi la formation PROGREAI quand celle-ci existait. Face à ces traumatismes, il faut un accompagnement particulier, d’autant que la barrière de la langue ne facilite pas les choses. Nous devons en effet, le plus souvent, travailler avec un interprète, que l’on choisit toujours avec beaucoup d’attention, quand on a la possibilité de le faire, mais cela ralentit un peu le process et, surtout, cela peut être un obstacle à l’empathie indispensable.
Comment se passe le travail d’enquête sur les territoires étrangers ?
Tout d’abord, il est important de préciser que les enquêteurs de l’office ne se transportent dans les pays concernés qu’avec l’accord des autorités locales. Ces dernières sont évidemment souveraines et libres d’accepter, ou pas, d’exécuter la demande d’entraide pénale internationale que la France leur formule.
La règle est généralement de laisser faire les policiers locaux en restant à leurs côtés, de sorte à pouvoir poser des questions complémentaires lors des auditions. Mais dès lors que l’autorité judiciaire du pays a donné son accord, le droit pénal français - article 18-4 du Code de procédure pénale - nous permet de procéder nous-mêmes à des auditions de témoins à l’étranger. C’est important parce que cela permet de supprimer un intermédiaire supplémentaire, sachant que nous devons déjà travailler avec des interprètes. C’est extrêmement important pour la qualité des témoignages recueillis, mais aussi pour les enquêteurs, qui sont ainsi davantage impliqués dans leurs investigations.
Beaucoup d’auditions de témoins sont par ailleurs conduites dans des pays différents de celui d’origine. Autant dire que retrouver le bon témoin s’apparente souvent à un jeu de piste mondial !
Dans les domaines de compétence de l’OCLCH, on voit que les partenariats tiennent une place essentielle. Outre les ONG que vous venez d’évoquer, quels sont vos autres interlocuteurs et partenaires au plan national et international ?
Au plan national, les services de renseignement sont évidemment des partenaires incontournables. À l’étranger, une communauté des magistrats et des enquêteurs spécialisés en matière de crimes internationaux s’est formée, en particulier au niveau européen, avec le « réseau Génocide », rattaché à EUROJUST. Il regroupe la totalité des représentants des enquêteurs et des magistrats qui instrumentent sur ce contentieux dans tous les pays membres et les pays associés, comme le Canada, les États-Unis, la Suisse, la Norvège… Ce réseau se réunit deux fois pas an à La Haye pour échanger sur les dossiers en cours, les bonnes pratiques, les difficultés. C’est un rendez-vous incontournable pour les enquêteurs.
Il y a Interpol bien sûr, quand on traite de dossiers impliquant des fugitifs. Europol est évidemment un partenaire essentiel, notamment avec le projet d’analyse CIC (Core International Crimes), qui est une base de données permettant d’échanger des informations via SIENA. Naturellement la cour pénale internationale, qui peut se nourrir de nos procédures pour alimenter ses dossiers, et, à l’inverse, nous permettre de chercher dans ses procédures des éléments pouvant intéresser des enquêtes françaises.
J’évoquerais également l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Concrètement, depuis 2018, conformément à l’article 1F de la convention de Genève sur les réfugiés, l’OFPRA est tenu de signaler au PNAT les demandeurs d’asile qui auraient pu se rendre coupables de crimes graves dans leur pays d’origine, parmi lesquels figurent bien évidemment les crimes internationaux. Depuis cette date, nous avons connu par conséquent une explosion des dossiers.
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Quelles affaires ont, pour vous, particulièrement marqué cette première décennie ?
Il y en a plusieurs. On a beaucoup parlé de l’arrestation de Félicien Kabuga, un des principaux financiers du génocide des Tutsis au Rwanda, en banlieue parisienne, en mai 2020. Ça a été un très grand coup pour l’office, puisque ça faisait 25 ans qu’il était en cavale, avec une récompense de quelque 3 millions de dollars émise par le FBI. Il y a également le dossier Lumbala, un ancien chef de guerre congolais arrêté à Paris fin décembre 2020, ou encore l’affaire Kunti Kamara. Ce rebelle libérien, passé aux Assises de Paris en novembre 2022, avait commis des exactions au Liberia dans le cadre de la guerre civile qui s’y est déroulée en 1998-2000 ; il a été condamné à perpétuité.
Parmi les derniers dossiers en date, on peut aussi citer l’Ukraine…
Bien sûr, et c’est extrêmement marquant parce que, pour la première fois, l’office a été amené à conduire des investigations sur un territoire en guerre, de façon très contemporaine aux faits, même s’il y a toujours un décalage avec leur commission. Cette projection a permis de valider la pertinence du statut militaire d’enquêteur au sein d’un office central et de mettre à l’épreuve, en zone de guerre, l’interopérabilité de nos modes d’action avec l’IRCGN (Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale) et le GIGN. Aujourd’hui, nous avons une dizaine de dossiers ouverts en lien avec cette guerre.
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On voit que les affaires sur lesquelles travaille l’OCLCH sont longues, complexes, souvent sensibles, mais également chargées émotionnellement. À ce titre, et en conclusion, quelles sont les qualités requises, du moins essentielles, pour devenir enquêteur au sein de l’OCLCH ?
Outre les qualités classiques attendues d’un enquêteur, comme la rigueur et la curiosité, je dirais qu’il faut disposer d’une grande ténacité, peut-être plus encore que dans les autres domaines d’enquête, parce que la distance et le temps qui passe rendent les choses beaucoup plus difficiles. Il faut aussi posséder de grandes capacités d’empathie, car nous sommes confrontés à ce que l’espèce humaine est capable de faire, et de subir, de pire. Une grande résilience bien entendu, ainsi qu’une capacité de recul sur les événements, justement pour ne pas s’impliquer personnellement et conserver une distance suffisante pour ne pas se faire submerger par les émotions, ce qui pourrait par ailleurs nuire à la partialité que l’on attend de nous. Enfin, il faut être ouverts, parce que nous sommes en permanence au contact d’autres cultures, d’autres populations, d’autres réflexes, qu’il faut savoir comprendre et accepter.
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