L’expertise balistique, une technicité au service de l’enquête criminelle
Au sein de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), une quinzaine d’experts balisticiens œuvrent au profit des enquêteurs et des magistrats, contribuant à la résolution de dossiers criminels. Rencontre avec l’adjudant-chef Hélène, membre du département balistique, à la découverte d’une technicité emblématique.
260 experts et techniciens, plusieurs milliers de mètres carrés de bâtiments ultramodernes, abritant des laboratoires high-tech… Outil majeur dans le domaine des sciences forensiques, l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), créé en 1987, est implanté à Pontoise, à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale. Rattaché au Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale (PJGN), cet institut rassemble en un même lieu un large panel d’expertises pluridisciplinaires de haut niveau, déployées à l’appui des unités de terrain. Les hommes et les femmes qui y exercent sont à la fois gendarmes et scientifiques. Leur mission : exploiter les différents indices matériels retrouvés sur les scènes de crime, afin d’apporter les éléments techniques permettant aux enquêteurs d’établir les circonstances des faits.
Les experts des scènes de crime
En s’appuyant sur les sciences traditionnelles et les évolutions technologiques, les enquêteurs...
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Parmi eux se trouvent les experts du département balistique, qui étudient et identifient les indices liés aux armes à feu. L’équipe est composée de quinze personnes, réparties au sein de trois unités : deux unités territoriales (métropole / Corse et Outre-mer) et une troisième spécialisée dans l’identification et la réglementation des armes et munitions. Le laboratoire du département balistique se situe au sous-sol, dans les entrailles du bâtiment. C’est là que nous conduit l’adjudant-chef Hélène.
Entrée en gendarmerie en 2003 en tant que gendarme adjoint volontaire, la jeune femme exerce d’abord durant treize ans en brigade, dans les Landes, puis dans l’Essonne, avant d’intégrer l’IRCGN, en janvier 2016. Un virage professionnel conforme à ses aspirations profondes. « J’avais pour projet d’intégrer la Cellule d’identification criminelle (CIC). C’est donc en toute logique que j’ai répondu à l’appel à volontaires pour rejoindre le département balistique de l’IRCGN », se souvient-elle. Sa candidature est retenue. C’est alors pour elle la découverte d’une toute nouvelle discipline. « L’apprentissage est long et exigeant. Il repose principalement sur la transmission de connaissances et le partage d’expérience au sein de l’équipe, mais aussi sur une démarche plus personnelle, fondée sur la lecture d’ouvrages et de publications de référence. En France, il n’existe pas de formation spécifique adaptée au besoin », souligne-t-elle. Affectée à l’unité « métropole - Corse », la militaire gravit progressivement les échelons. Entrée au département balistique il y a sept ans en qualité d’assistante, elle est aujourd’hui cheffe de groupe d’experts. Qu’ils soient officiers ou sous-officiers, les balisticiens réalisent le même travail et les mêmes gestes. Seule varie la complexité des dossiers, selon leur niveau d’expérience.
Un outil de premier plan au service de la justice
La balistique est une technique de la criminalistique visant à faire la lumière sur les circonstances d'un tir par arme à feu. Elle s’applique à déterminer le type d’arme utilisé, le nombre de coups de feu tirés, mais aussi la trajectoire ou la distance de tir, afin de définir la position du tireur. « Sur la base des éléments ainsi recueillis sur les scènes de crime, nous émettons et soutenons des hypothèses, plus ou moins fermement, selon les données dont nous disposons, indique l’adjudant-chef Hélène. Dans la mesure où le balisticien ne se trouve pas sur les lieux au moment du crime, il ne peut être catégorique quant au déroulement exact des faits. De surcroît, il existe toujours des variables, également inconnues des experts, telles que la position du canon, ou encore le mouvement précis de la balle au moment où celle-ci impacte sa cible. Des facteurs divers, qui induisent une part d’incertitude. Parfois, le projectile est altéré, et les traces sont partiellement effacées. Nous exposons les éléments en notre possession, lesquels font pencher la balance en faveur d’une hypothèse, plutôt qu’une autre. »
Les experts en balistique apportent leur appui aux enquêteurs de toute la France, pour aider à la résolution d’enquêtes complexes ou sensibles. Ils sont en outre régulièrement sollicités par les magistrats instructeurs, en cas de nécessité judiciaire particulière. Ils sont alors saisis par ordonnance de commission d’expert, dans le cadre d’une ouverture d’information judiciaire, aux fins d’apporter des éléments scientifiques solides. Objectif : confronter les constatations techniques réalisées par les balisticiens aux versions des protagonistes (tireurs, témoins éventuels, victimes, etc.), pour juger de leur compatibilité. Des éléments déterminants, sur lesquels s’appuieront, lors du procès, les membres de la Cour d’Assises ou de la Cour criminelle.
Meurtre, braquage à main armée, accident par armes à feu… multiples sont les faits pour lesquels le département balistique peut être saisi. En augmentation constante depuis plusieurs années, le nombre de dossiers qu’il traite annuellement s’élève aujourd’hui à environ 1 200.
Les balisticiens alternent les terrains d’exercice, la pratique du métier s’effectuant aussi bien dans les locaux de l’IRCGN, à partir de dossiers et de scellés, que sur le terrain, où ils sont projetés pour réaliser les constatations, notamment à l’aide d’un kit de trajectoire balistique.
Une large palette de technicités pour répondre aux besoins spécifiques de chaque enquête
Le métier d’expert balisticien revêt de multiples facettes. Chargé du suivi de ses dossiers de A à Z, l’expert utilise tout ou partie des technicités qui sont à sa disposition, selon la nature de l’affaire.
« Après avoir pris connaissance de la réquisition, nous réalisons l’étude de l’arme et des munitions. Nous procédons alors à la description et au démontage de l’arme, ainsi qu’à la prise de mesures. Nous déterminons le poids de détente – c’est-à-dire la pression sur la détente nécessaire au déclenchement du coup de feu -, relevons les rayures présentes dans le canon. Nous étudions ainsi leur nombre, leur type ou leur orientation, et recherchons d’éventuelles modifications ou dysfonctionnements. Nous effectuons ensuite des tirs de récupération avec l’arme incriminée. L’objectif est de comparer les éléments de munition qui sont ainsi tirés avec ceux retrouvés sur la scène de crime. Sur ces pièces apparaissent les traces imprimées par l’arme au moment du tir. On parle alors de signature balistique. Cette étape nous permet de déterminer de quelle arme provient l’élément tiré, et d’associer ainsi une arme à une scène de crime. Pour ce faire, nous réalisons des rapprochements à l’aide d’un macroscope de comparaison. Chaque arme à feu possède une empreinte unique, qui lui est propre », explique l’adjudant-chef Hélène.
Là encore, les experts balisticiens s’inscrivent dans une logique de probabilité, l’identification parfaite dans ce domaine n’existant pas. Les comparaisons permettent ainsi de favoriser plus ou moins fortement l’une ou l’autre des hypothèses qui s’offrent à eux : l’élément a-t-il été tiré par l’arme étudiée ou provient-il d’une autre arme ? La signature balistique relative à l’arme est ensuite intégrée au Fichier national d’identification balistique (FNIB), commun à la gendarmerie et à la police nationales, en vue de déterminer une possible utilisation dans une précédente affaire.
Parfois, le numéro de l’arme inscrit par le fabricant a été effacé, afin d’empêcher toute identification. Les experts utilisent alors une technique de révélation chimique, visant à faire apparaître le numéro.
Le département balistique rassemble de nombreux équipements technologiques de pointe, qui permettent aux gendarmes de mener leurs investigations en toute autonomie. Outre un tunnel de tir de 25 mètres, doté d’une caméra à haute vitesse, où sont réalisés la quasi-totalité des essais, les experts balisticiens sont équipés d’une cuve à eau, spécialement dédiée aux tirs de récupération. La densité de l’eau, qui freine le projectile, permet aux experts de le récupérer intact. Le tunnel de tir, quant à lui, est utilisé pour tous les tirs ne nécessitant pas la récupération des étuis ou projectiles : étude des distances, vérification de la justesse ou du fonctionnement de l’arme… Les experts du département disposent également d’un atelier richement fourni, dans lequel sont remises en état les armes endommagées, comme celles ayant séjourné dans l’eau.
Le département balistique héberge en outre une impressionnante bibliothèque d’armes, composée d’environ 15 000 pièces, dont les trois quarts proviennent de scellés judiciaires. Rattachée à la Collection nationale des armes et munitions (CNAM), commune à la gendarmerie et à la police nationales, cette bibliothèque réunit armes de poing et armes d’épaule civiles ou militaires. « Son objectif premier est de faire fonctionner les armes endommagées, provenant des scellés étudiés. Certaines nous arrivent en effet incomplètes, cassées ou encore brûlées. Nous récupérons alors les pièces d’un modèle identique, répertorié dans la bibliothèque, pour l’utiliser sur l’arme issue des scellés, indique l’adjudant-chef Antoine, membre de l’unité spécialisée dans l’identification et la réglementation des armes et munitions. Cette collection nous sert également à identifier l’arme susceptible d’avoir servi dans une affaire, que les enquêteurs n’auraient pas retrouvée. »
Parmi les nombreuses missions des experts balisticiens, certaines se déroulent hors les murs du laboratoire, à l’appui des unités de terrain. Les experts du département balistique peuvent ainsi être projetés lors de perquisitions d’envergure, afin de soutenir les enquêteurs dans leur travail d’identification et de classification de certaines armes ou munitions. Une expertise fondamentale, tant la réglementation des armes est complexe et évolutive.
Les experts se rendent également sur les scènes de crime pour procéder aux constatations, permettant de déterminer le nombre de coups de feu tirés, ainsi que les distances et les trajectoires de tir. « Nous disposons d’un scanner laser, grâce auquel nous pouvons réaliser un scan en 3 D de la scène de crime, qui constitue un support visuel à présenter lorsque nous intervenons devant la Cour d’Assises », complète l’adjudant-chef Hélène.
Également présents lors des autopsies, ces experts assistent le médecin légiste afin de caractériser les lésions balistiques sur le corps de la victime, de déterminer la distance et la trajectoire des tirs, ainsi que la compatibilité avec certains couples arme/munition. Au fil du temps, la militaire a d’ailleurs fait de la balistique lésionnelle sa spécialité.
Les balisticiens participent enfin aux reconstitutions judiciaires aux côtés du juge d’instruction, afin d’apporter un éclairage technique, nécessaire pour évaluer la cohérence et la compatibilité entre les constatations balistiques réalisées au préalable, et la version des faits, telle que soutenue par les protagonistes.
Une parfaite objectivité
« La fonction d’expert balisticien requiert une parfaite objectivité. C’est l’une des règles cardinales de notre métier. Bien qu’il ne soit pas insensible, l’expert se doit d’aborder chacune des affaires sous un angle technique, sans laisser de place à l’émotion ou à un quelconque a priori », estime l’adjudant-chef Hélène. Ce métier, elle l’a avant tout choisi pour sa dimension scientifique et technique, ainsi que pour sa composante judiciaire, à laquelle elle porte un intérêt particulier. « J’éprouve un réel sentiment d’utilité. Les éléments que nous fournissons aux membres de la Cour d’Assises ou de la Cour criminelle sont souvent déterminants, et peuvent avoir une incidence sur l’issue du procès », indique-t-elle, pleinement consciente de l’enjeu pesant sur ses épaules. C’est pourquoi les experts balisticiens se déplacent en binôme sur les scènes de crime ou les reconstitutions. « Si le modus operandi est le même pour chacun d’entre nous, notre vision peut différer suivant les cas. Cette complémentarité constitue un atout certain », observe l'experte. Lorsque la scène présente une complexité particulière, ou qu’elle est étendue, plusieurs équipes peuvent être dépêchées sur les lieux.
Si les interactions entre les membres du département balistique sont nombreuses, elles le sont également avec les intervenants extérieurs, à l’instar des magistrats, des enquêteurs, mais aussi d’autres publics spécifiques. Des groupes d’étudiants sont ainsi régulièrement reçus à l’IRCGN. L’occasion de faire connaître le métier d’expert balisticien, au-delà de la vision, souvent réductrice, véhiculée par les séries télévisées. « Le métier est très varié. Chaque affaire est différente, avec un contexte, un terrain, des protagonistes, des armes et des contraintes qui lui sont propres. On ne fait jamais la même chose. C’est là un aspect du métier particulièrement motivant ! », confie l’adjudant-chef Hélène. Et de conclure sur le lien qui l’unit à ses collègues : « L’ambiance au sein de l’unité est très bonne. Elle est liée au processus de recrutement très exigeant, orienté tant sur la compétence que sur la motivation et la faculté d’intégration de chacun des membres du département. Cette cohésion est d’autant plus fondamentale que le travail d’équipe tient une place centrale. »
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